Sur la musique / On music
Le site publie deux études achevées de Jean-Paul Schützenberger sur l'acoustique et les lois de l'harmonie.
Le site publie progressivement le traité inachevé d'esthétique musicale.
Les textes sont classés chronologiquement.
The site publishes two completed studies by Jean-Paul Schützenberger on acoustics and the laws of harmony.
The site progressively publishes the unfinished treatise on musical aesthetics.
The texts are classified chronologically.
TRAITE D'ESTHETIQUE MUSICALE par Jean de Puisaye - inachevé
Note : plus d'une centaine de feuilles autographes et un petit cahier bleu sont réunies dans une grande feuille de papier à musique titrée TRAITE D'ESTHETIQUE MUSICALE et signée Jean de Puisaye. Marie-Louise Schützenberger, née de Puisaye, mère de Jean-Paul Schützenberger, a retranscrit le traité dans le petit cahier bleu sur 53 pages. Le site publiera progressivement ces pages qui ne sont pas datées, où se trouve un article de 1950.
Les bases expérimentales de l'Art musical
1°) Généralités
2°) Rapports entre la nature physique du phénomène sonore et les lois de la perception
a) Classification des intervalles
b) La structure vibratoire du son
c) Conséquences du phénomène de résonance harmonique sur la perception des sons
d) Théorie nouvelle de la consonance
3°) Rapports entre la nature physique du phénomène sonore et l'émission naturelle des sons
4°) Rapports entre la nature physique du phénomène sonore et l'émission artificielle des sons
5°) Les lois arbitraires posées en fonction des critères extra musicaux
6°) Les lois de Feedback
7°) Exposé et justifications de notre nouvelle théorie de la consonance
Introduction
1°) Généralités
Toute oeuvre d'art est une combinaison de moyens sensoriels et de moyens extra sensoriels permettant une action sur l'homme.
Toute oeuvre d'art comporte ainsi à la fois un enchaînement d'idées accessibles à un pur esprit et un déroulement parallèle de chocs émotifs qui n'atteignent à l'intelligence que par le détour des sens.
Suivant les arts, les civilisations, les artistes, l'accent est mis sur l'aspect intellectuel ou sous l'aspect sensoriel. L'absence d'un de ces éléments relègue l'oeuvre dans la mathématique ou dans la satisfaction animale.
Le chef d'oeuvre n'est pas autre chose que l'appropriation particulièrement réussie d'une idée avec nos moyens sensoriels. Malheureusement, cette réussite unique porte en elle même le germe de la décadence qui suit toute oeuvre géniale.
Les contemporains, les continuateurs, les techniciens vont chercher à découvrir le ressort secret qui a fait le chef d'oeuvre. Ils prétendent ainsi s'épargner les travaux et les angoisses de la création et atteindre rapidement au succès.
Ce mécanisme implacable dégrade les moyens choisis par le Maître au rang de procédé. A ce moment, le critique accourt, adorant à retardement ce qu'il a brûlé, et sacre le procédé règle d'or intangible qu'il faut incontinent inculquer aux candidats à la gloire.
Ainsi la combinaison de couleurs, de sons, de mots, de personnages qui recouvraient d'un somptueux manteau de chair l'Idée devient règle d'école quand elle est vidée de toute sa substance.
On collectionne précieusement un bon nombre de préceptes qui conservaient une apparence de justification quand tout le monde connaissait le lien qui les identifiaient à l'idée, mais qui n'en n'ont plus aucune, quand personne ne se souvient plus de leur origine.
Depuis la plus haute antiquité, l'art musical a eu sur l'homme une emprise physique qu'aucun autre art n'a possédé au même degré. Il en résulte que seule ou accompagnée de la danse, la musique a toujours été associée aux cérémonies populaires, patriotiques ou religieuses.
Par contre coup, des considérations religieuses, magiques, littéraires réagirent profondément sur l'art musical. Ce phénomène fut encore accentué par la difficulté de trouver les lois scientifiques de l'audition. Il en résulte que, parmi tous les arts, la musique est encore aujourd'hui le plus encombré de règles absurdes.
Il est aussi devenu presque impossible de distinguer la part nécessaire parce que physique ou physiologique de la part purement contingente parce que imposée par des accidents antérieurs.
Dans la musique actuelle à côté de règles absolument indispensables subsiste un fatras de soi disant règles d'origine magique, mystique, arithmétique.
L'absurdité de ces règles a fait lever depuis un siècle un grand souffle de révolution.
Comme toutes les révolutions, celle-ci s'est laissé emporter par sa fougue. Toutes les règles ont été jetées par dessus bord : les bonnes comme les mauvaises, les nécessaires avec les inutiles. En même temps il est amusant de retrouver pieusement conservés des dogmes plus ou moins frelatés et de voir enfanter des lois encore plus artificielles que celles qu'elles prétendaient supplanter.
Les crises ont d'ailleurs entraîné le désintéressement actuel du grand public pour la musique dite moderne. Au siècle dernier en effet les musiciens médiocres, faisant des musiques médiocres mais respectant toutes les règles étaient au moins agréables à entendre. Aujourd'hui au contraire les musiciens médiocres écrivent encore des musiques médiocres mais qui répudiant toute règle sont sûrement insupportables à entendre.
Il s'ouvre aujourd'hui devant la musique des perspectives d'avenir plus belles et plus somptueuses qu'à aucune autre époque.
Autrefois, il n'était possible de connaître une oeuvre que par la partition = Beethoven a peut être entendu une fois chacune de ses oeuvres. Aujourd'hui, le disque permet à tous d'approfondir bien plus complètement tout le répertoire. Il en résulte que les structures les plus délicates deviennent accessibles au plus grand public.
La conception de l'Art musical comme grand Art autonome s'en trouve d'autant confirmé. L'idée de l'édifice sonore indépendant de tout autre art peut enfin se trouver (incarné ?).
En même temps la richesse de la matière sonore s'accroit chaque jour, par la création de nombreux instruments, par l'accoutumance de l'oreille à de nouveaux accords, à une nouvelle mélodie, à de nouveau rythmes.
Il devient urgent de tenter, loin de tout procédé scolastique, de construire une théorie musicale authentique.
2°) Nature de l'art musical
à suivre...
Jean-Paul Schützenberger
ACOUSTIQUE. Répercussions sur le caractère d'un accord de certaines relations pouvant exister entre les fréquences des notes le composant. Note de Mr. Jean-Paul Schützenberger, présentée par Mr. Leprince Ringuet.
Note : le texte présente deux versions ; une version préliminaire autographe titrée "Note sur la corrélation existant entre le caractère consonant ou dissonant d'un accord et certaines relations existant entre les fréquences des notes le composant" et la version dactylographiée reproduite ci-dessous qui comporte quelques formules mathématiques ajoutées à l'encre.
Louis Leprince-Ringuet est le scientifique français, membre de l'Académie des sciences, professeur de physique de Jean-Paul Schützenberger à l'Ecole polytechnique, président des jeunesses musicales de France de 1974 à 1990.
1. Introduction
La théorie classique de l'Harmonie de dispose pas de critères sûrs permettant de prévoir l'effet global produit par l'audition simultanée de plusieurs notes.
La présente étude a pur but de tenter de combler cette lacune.
Notons tout d'abord qu'un son, et même un son pur, n'excite pas dans l'oreille un seul détecteur, mais tout un système, qui transmettent au cortex une masse d'informations ainsi constituée : identification des détecteurs excités, intensité d'excitation de chacun d'eux.
Jean-Paul Schützenberger
A PROPOS D'UNE NOUVELLE INTERPRETATION DES LOIS EMPIRIQUES DE L'HARMONIE ET DU CONTREPOINT par Jean-Paul Schützenberger - sans date, après 1963
Note : la version dactylographiée de cette étude comporte 33 pages numérotées. L'étude développe la note sur l'acoustique de Jean-Paul Schützenberger. L'objectif est de "retrouver la quasi intégralité des lois de l'Harmonie" par la construction d'un "modèle d'analyseur de sons". Les pages de la version dactylographiée sont indiquées en Italique.
I. INTRODUCTION (page 1)
Depuis plusieurs siècles, les théoriciens de l'Art musical analysent les chefs-d'oeuvre des grands compositeurs, pour tenter d'en extraire des règles pratiques capables d'aider à en renouveler le miracle.
Par tâtonnements successifs, ils ont ainsi découvert un certain nombre de règles empiriques qu'ils rassemblèrent en deux recueils principaux :
la Théorie de l'Harmonie,
la Théorie du Contrepoint.
Dans le but de donner une base rationnelle à ces règles, ils s'efforcèrent de les déduire de la Théorie du corps sonore.
Malheureusement, cette tentative n'a pas été couronnée de succès, si bien que l'on se trouve aujourd'hui en présence d'un ensemble assez incohérent, où voisinent des règles empiriques nécessaires au praticien et des raisonnements pseudo-scientifiques irritants pour le théoricien.
L'on arrive ainsi à une incompatibilité presque absolue entre la partie pratique et la partie théorique des Traités d'Harmonie et de Contrepoint.
Cet échec a contribué à jeter le discrédit sur l'ensemble de ces deux disciplines, au point que beaucoup en sont venus à penser qu'il s'agissait là uniquement du produit d'une éducation arbitraire de l'oreille.
De là à affirmer que l'on aurait pu aussi bien habituer l'oreille à tout autre chose et à s'employer à le faire, il n'y a qu'un pas.
Chacun peut, hélas, constater que ce pas a été maintes fois franchi.
Nous aborderons ce problème dans un état d'esprit tout différent.
Reprenant le contenu empirique des traités d'Harmonie et de Contrepoint, et laissant de côté les principes arbitraires et les déductions scolastiques qui les encombrent, nous considérerons les règles pratiques contenues dans ces ouvrages comme de simples comptes-rendus d'expériences de caractère scientifique.
Il ne nous sera pas possible de leur donner une explication, mais nous pensons néanmoins avoir réussi à les ordonner et à les classer de manière à la fois nouvelle et satisfaisante.
Pour ce faire, nous définirons un modèle d'analyseur de sons, véritable "oreille artificielle", obéissant à un nombre restreint de règles d'ordre physique, physiologique ou psychologique.
Analysant alors l'espace sonore avec ce modèle, nous retrouverons la quasi totalité de règles pratiques de l'Harmonie et du Contrepoint, et nous pensons leur avoir ainsi donné une unité inattendue.
Enfin, par le rapprochement des règles de fonctionnement de notre analyseur avec certaines lois physiques, physiologiques ou psychologiques déjà connues, nous montrerons qu'il est permis dépenser que notre appareil auditif obéit à des règles comparables, et que là, sans doute, réside l'explication finale des lois de l'Harmonie et du Contrepoint.
Sur le plan musical, l'enjeu est de prix et nous en dirons quelques mots. Il s'agit en effet de savoir si le devoir du compositeur est de torturer l'oreille de l'auditeur pour faire son bonheur malgré lui, ou si, au contraire et plus modestement, il doit se plier à une réalité qui le dépasse, pour s'en rendre maître et créer des formes nouvelles à partir d'une substance éternelle. On voit aussitôt que le problème déborde, sur le plan esthétique, du seul domaine musical.
Sur le plan scientifique, il s'agit de la construction d'un des rares modèles connus d'un mécanisme de perception. Ce modèle est probablement le second, le premier étant le sélecteur trichrome qui rend compte de la perception des couleurs.
II. TENTATIVE D'ETABLISSEMENT D'UNE CLASSIFICATION OBJECTIVE DES INTERVALLES MUSICAUX. (page 3)
1°. CARACTERES DES REGLES DE LA THEORIE MUSICALE.
A. Caractères généraux de ces règles.
Il est nécessaire de se rendre compte exactement de la portée des règles posées par les théories de l'Harmonie et du Contrepoint.
a) Caractère relatif.
Les règles musicales ne prétendent plus à être absolues.
Pour certaines, elles énumèrent ce qui, dans des conditions normales d'ambiance sonore et de timbre, est manifestement désagréable à entendre.
Pour la plupart, elles se bornent à donner les moyens de réaliser une solution à un problème musical donné qui, sans prétendre à être la meilleure, a du moins de bonnes chances de ne pas être la plus mauvaise.
b) Caractère vocal.
Les règles musicales ont presque toujours été formulées pour des voix, et plus précisément pour des masses chorales comportant un nombre suffisant d'exécutants, harmonieusement répartis selon les tessitures.
Quand ces conditions ne sont pas remplies, ce qui est en particulier le cas pour la musique instrumentale et plus spécialement pour toute la musique de piano, certaines de ces lois, et dans les cas extrêmes presque toutes deviennent sans aucune autre portée que le désir obstiné et scolastique de respecter la loi pour la loi.
B. Harmonie et Contrepoint.
a) Définitions
Les théories de l'Harmonie et du Contrepoint sont les deux volets essentiels de la Théorie Musicale. Elles ont pour but, sous les réserves indiquées ci-dessus, de rechercher les rapports qui doivent exister entre les notes pour que leur audition présente un certain caractère d'"agrément".
Ces deux théories sont intimement liées, mais se distinguent cependant par le point de vue d'où chacune d'elle se place.
La théorie du Contrepoint étudie le déroulement des ensembles de notes, chacune d'elles étant considérée comme faisant partie d'une ligne mélodique particulière. A ce titre, elle débute par l'étude des lois de formation d'une ligne mélodique isolée, pour se poursuivre par l'étude de la combinaison de plusieurs lignes mélodiques.
La théorie de l'Harmonie étudie le déroulement des ensembles de notes, chacune étant considérée comme faisant partie d'un accord particulier. A ce titre, elle commence par poser les règles de formation d'un accord, pour se poursuivre par les lois d'enchaînement de plusieurs accords.
b) Différences entre les lois de l'Harmonie et du Contrepoint.
Les lois de l'Harmonie et du Contrepoint ont un caractère vocal. Cependant les lois du Contrepoint tirent leur source plutôt dans des considérations d'émission vocale, alors que les lois de l'Harmonie sont plutôt issues de considérations d'écoute des voix.
Les règles du Contrepoint, et plus spécialement les règles de construction d'une ligne mélodique, sont des règles d'articulation vocale. Elles devraient donc perdre toute portée quand il n'y a plus d'articulation vocale, c'est-à-dire pour toute la musique instrumentale. Elles gardent cependant un certain intérêt dans ce domaine, car la possibilité d'articuler une mélodie, fut-ce seulement mentalement, en facilite beaucoup la mémorisation, et, par suite, permet une compréhension plus rapide des éléments de l'architecture sonore.
Les règles de constructions des accords sont essentiellement des règles d'audition des voix. Elles sont peu sensibles aux timbres des notes, et sont par suite, pour la plupart, directement applicables à la musique instrumentale.
c) Rapprochement entre les deux disciplines.
Les lois du Contrepoint supposent que l'on suive simultanément chacune des parties en mouvement, en isolant mentalement chacune d'elles. Cependant, certaines de ces lois tiennent largement compte de l'effet global, l'"effet d'accord", produit par certaines notes entendues simultanément. C'est ainsi que les lois de préparation et de résolution des dissonances n'ont bien évidemment lieu d'être qu'en raison de l'"effet d'accord" réalisé par les notes constituant l'agrégat concerné.
Par suite, il apparaît possible de déduire de l'étude de certaines lois de Contrepoint des lois visant l'"effet d'accord" produit par certains assemblages de notes.
Il s'agit là, d'ailleurs, de l'étude d'un caractère nettement distinct du caractère de "consonance" au sens strict de l'Harmonie, et qui se révélera par contre identique au caractère d'"agrément" produit sur l'oreille par l'audition de plusieurs notes simultanées.
C. Consonance. Agrément. Justesse. (page 5)
a) Consonance.
On pourrait penser que les termes "consonant" et "dissonant" s'opposent, comme le voudrait l'étymologie et le bon sens, en ce que les accords "consonants" sont composés de notes qui "sonnent mieux ensemble" que les notes composant les accords "dissonants".
Ce n'est pas exact.
D'une part, il convient de remarquer que le contexte a une grande importance, bien souvent même une importance décisive. D'autre part, force est de reconnaître que, pris en eux-mêmes, bien des accords "consonants" sonnent "plus rudes" que certains accords dissonants.
La théorie de l'Harmonie, faute de pouvoir donner une définition statique de la dissonance, a tenté de lui donner une définition dynamique. C'est ainsi que fut catalogué "accord consonant" tout accord donnant une impression d'équilibre, et "accord dissonant" tout accord donnant une impression de déséquilibre.
Malheureusement, cette définition n'échappe pas aux reproches adressés à la définition statique.
D'une part le contexte est là encore d'une importance extrême, d'autre part, certains accords baptisés "consonants" sont instables tandis que des accords baptisés "dissonants" sont parfaitement stables, tel l'accord de quinte diminuée, à qui, en raison même de cette irritante constatation, la théorie de l'Harmonie a refusé le droit à l'existence !
Finalement, la seule définition possible dans l'état de la Théorie Musicale, se ramène à une pure tautologie : on appelle "accord consonant" tout accord répertorié comme tel par la théorie de l'Harmonie, on appelle "accord dissonant" tout accord répertorié comme tel par la théorie de l'Harmonie, sans qu'il soit possible d'associer à cette définition purement verbale aucune propriété physique, physiologique ou psychologique.
b) Agrément.
On est amené à reconnaître :
par l'expérimentation personnelle,
par l'examen objectif des règles pratiques de l'Harmonie et du Contrepoint
que certains agrégats sonores sont, en eux-mêmes, plus ou moins "agréables" à entendre.
Il est ainsi possible de dire :
soit : tel accord, entendu isolément est plus agréable que tel autre entendu dans les mêmes conditions
soit : telle règle pratique, appliquée de la même manière pour deux accords différents, amène à penser que ces deux accords présentent un "agrément" comparable.
Il est remarquable de constater que ces deux modes de qualification amènent au même résultat, en sorte qu'il semble bien que la notion d'"agrément", contrairement à la notion de "consonance", renferme un contenu physique, physiologique ou psychologique objectif.
C'est essentiellement ce contenu que nous allons étudier au cours du présent travail.
c) Justesse.
A côté de la notion de consonance, et parfois mal distinguée de celle-ci, la théorie de l'Harmonie connaît la notion de "justesse".
L'Harmonie qualifie d'"intervalles justes" les intervalles d'octove, de quinte et de quarte.
Elle ne tire d'ailleurs de cette définition aucune conséquence pratique.
2°. CLASSIFICATION DES INTERVALLES (page 7)
A. Définitions.
Deux notes entendues successivement forment un intervalle mélodique.
Deux notes entendues simultanément forment un intervalle harmonique.
L'étude des premiers relève du Contrepoint, l'étude des seconds relève de l'Harmonie.
Le présent ouvrage a pour but d'interpréter les différentes impressions produites sur l'appareil auditif par les intervalles harmoniques, à l'état de repos. Les lois régissant les intervalles mélodiques, de même que toutes les règles régissant le mouvement des notes, ne nous intéresseront que dans la mesure où elles nous éclaireront sur les intervalles harmoniques.
Notre but est, en effet, d'atteindre aux intervalles harmoniques, pour aboutir finalement à une "loi élémentaire" relative aux accords de deux notes.
Bien entendu, pour atteindre ce résultat, nous devrons étudier des accords de plus de deux notes, pour en déduire les règles relatives aux "intervalles élémentaires" qui les composent.
B. Classifications de base.
a) Classification du Contrepoint.
Le contrepoint classe les intervalles mélodiques selon la facilité qu'ils offrent à être chantés.
Il considère ainsi comme "chantables"
secondes majeures et mineures
tierces majeures et mineures
quarte et quinte justes
sixte mineure
octave.
En fait, cela revient à dire que tous les intervalles sont chantables, à l'exception des intervalles diminués ou augmentés et des intervalles plus étendus que la sixte mineure, exception faite pour l'octave.
Il s'agit là simplement du produit d'un double phénomène :
d'une part, la voix chante le plus facilement les intervalles que l'on a eu le plus souvent l'occasion d'entendre.
d'autre part, il est difficile, sans doute pour des raisons purement musculaires, de faire faire à la voix des sauts trop étendus en conservant une précision suffisante.
En tout état de cause, cette classification est en dehors de notre étude.
b) Classification de l'Harmonie.
i) classification par justesse.
La théorie de l'Harmonie appelle "intervalles justes" les intervalles qui ne sont pas susceptibles d'être nommés "majeurs" ou "mineurs".
Une telle définition est purement verbale. On peut cependant la préciser très sensiblement. On appellera "juste" tout intervalle que l'on ne peut ni augmenter ni diminuer d'un demi-ton sans en changer complètement le caractère.
Les intervalles "justes" sont l'octave, la quarte et la quinte.
ii) classification par "consonance".
L'Harmonie classe les intervalles en :
consonances parfaites : octaves et quinte
consonances imparfaites : tierces mineures et majeures
sixtes mineures et majeures
dissonances : secondes majeures et mineures
quarte augmentée (ou quinte diminuée)
tous les intervalles diminués ou augmentés
La quarte juste est tantôt une consonance, tantôt une dissonance.
iii) classification théorique.
La théorie de l'Harmonie prétend ramener les divers classements à un classement par complexité croissante des rapports des fréquences des notes constituant l'intervalle.
On aboutit ainsi au classement suivant :
unisson 1
octave 2
quinte 3/2
quarte 4/3
sixte majeure 5/3
tierce majeure 5/4
tierce mineure 6/5
sixte mineure 8/5
seconde majeure 9/8
septième majeure 15/8
septième mineure 16/9
seconde mineure 16/15
quarte augmentés 45/32
Ce classement appelle deux remarques principales.
D'une part, il recoupe à peu près le classement par "consonance" de l'harmonie. Comme il nous est apparu que ce dernier classement avait une réalité objective discutable, il est permis de penser que le nom de "consonance" a surtout été donné à la quinte et à la quarte en raison de leur position en tête du classement par les fréquences. Cependant, on trouve des inversions curieuses, notamment entre sixtes majeures et mineures, et surtout entre septième majeures et mineures. Enfin, la position de la quarte augmentée, en queue de liste avec un rapport aussi complexe, est manifestement sans rapport avec la réalité.
D'autre part, et c'est peut-être encore plus important, ce classement ne rend aucun compte d'un phénomène essentiel : le renversement. On sait en effet que deux intervalles dont l'addition redonne l'octave ont des propriétés très voisines. C'est le cas de la quinte et de la quarte, de la tierce majeure et de la sixte mineure, de la tierce mineure et de la sixte majeure, de la seconde majeure et de la septième mineure, de la seconde mineure et de la septième majeure, et enfin de la quarte augmentée qui, enharmoniquement, est son propre renversement, et se trouve effectivement seule de son espèce. Or, un simple coup d'oeil au tableau montre qu'il associerait plus volontiers les intervalles majeurs entre eux et les intervalles mineurs entre eux : un tel résultat est manifestement contraire à l'expérience.
C. Classifications expérimentales. (page 9)
a) Introduction.
Nous commencerons par établir deux classifications empiriques.
La première, ou "classification inductive", traduira l'impression ressentie par l'oreille, en commençant par les intervalles les plus désagréables.
La seconde, ou "classification déductive", sera déduite de l'examen des lois de l'Harmonie et du Contrepoint, ces deux classifications étant établies en se plaçant au seul point de vue de l'impression auditive produite par l'audition simultanée de deux ou plusieurs notes à l'état de repos.
Nous montrerons que ces deux classifications sont à peu près identiques, et nous établirons une "classification expérimentale" dont il s'agira de rendre compte.
b) Classification inductive.
i) Les intervalles désagréables.
Les intervalles les plus désagréables à entendre sont manifestement la seconde mineure et la septième majeure.
Ensuite viennent la seconde majeure et la septième mineure.
ii) les intervalles agréables.
Les tierces, les sixtes, ainsi que la quinte diminuée sont très agréables à entendre.
iii) la quinte et la quarte.
Ni la quinte, ni la quarte ne sont agréables à entendre "à vide". Cependant, alors que la quarte sonne nettement "désagréable", la quinte sonne à la fois comme la rencontre de deux notes "de la même famille", mais comme deux notes qui, cependant, ne sont pas "agréables" à entendre simultanément.
Ce caractère ambigu caractérise d'ailleurs la quinte, et nous le retrouverons maintes fois.
iv) l'octave.
L'octave est seul de son espèce. D'une part, les notes qui le composent semblent encore plus "de la même famille" que celles composant la quinte, et d'autre part, elles sonnent très agréablement ensemble.
v) note sur les renversements.
Nous avons parlé plus haut des renversements. Nous préciserons simplement ici que c'est entre la quinte et la quarte, parmi tous les intervalles renversements l'un de l'autre, que l'on trouve la plus grande différence.
c) Classification par déduction.
i) introduction.
Pour établir ce classement, nous utiliserons la méthode suivante : nous appellerons intervalles "désagréables" les intervalles que l'Harmonie interdit d'utiliser "à vide", intervalles agréables les autres. Nous considérons que, en principe, plus un intervalle demande de précautions quant à son emploi, plus il est désagréable. Enfin, nous admettrons que la notion d'enchaînement mesure, en quelque sorte le degré d'agrément d'un intervalle. Plus l'enchaînement est impératif, moins par suite on peut admettre de séjourner sur un intervalle, plus nous jugerons cet intervalle "désagréable".
ii) les intervalles dont l'emploi "à vide" est interdit. (page 11)
Les seuls intervalles ainsi prohibés sont :
la quinte et la quarte
les secondes et les septièmes.
iii) les précautions d'emploi.
Ces précautions sont de plusieurs ordres.
C'est ainsi que l'on peut prescrire la répétition d'un même intervalle. On trouve de telles prohibitions :
pour l'unisson et l'octave
pour la quarte
pour les secondes et les septièmes.
On peut également imposer certaines règles pour "arriver" sur un intervalle, ou pour en "partir".
Ce sont les règles :
sur les unissons et octaves "directs"
sur les quintes "directes"
sur la préparation et la résolution des secondes et septièmes.
Le fait que l'on rencontre, soumis à des règles comparables, quintes, quartes et véritables "dissonances" n'est pas pour surprendre ; cela se rencontre bien ailleurs. Le fait de les voir ainsi rapprochés des unissons et des octaves est plus singulier.
En réalité, cela s'explique par un double phénomène :
- d'une part on désire éviter des duretés, par la répétition d'intervalles désagréables : c'est ce qui explique les précautions visant les quintes, quartes, secondes et septièmes.
- d'autre part, on désire éviter les platitudes résultant du fait qu'à un instant donné, deux lignes mélodiques ne se distingueraient plus l'une de l'autre ; c'est ce qui explique les précautions visant les unissons et les octaves.
La quarte a ici une position singulière : elle n'est soumise à précautions que lorsqu'elle se produit avec la note de basse. Elle occupe, ici comme ailleurs, une position ambigüe.
iv) les enchaînements.
Les accords comportant avec la basse un intervalle de quinte ou de quarte trouvent leur enchaînement le plus normal avec un accord dont la fondamentale est à la quinte inférieure de la fondamentale du premier.
Les accords comportant entre deux quelconques de leurs parties un intervalle de seconde ou de septième ont un enchaînement, une "résolution", comparable.
Par contre, les accords ne comportant pas d'intervalle de l'une de ces catégories, c'est à dire :
l'accord de sixte
l'accord de quinte diminuée
les accords altérés
n'ont pas de résolutions obligées.
L'accord de quinte diminuée détient même une telle inertie que, faute de pouvoir en rendre compte, la Théorie classique de l'Harmonie a jugé plus sûr de déclarer qu'il n'existe pas.
iv) remarque sur les renversements.
Les intervalles déduits l'un de l'autre par renversement obéissent à des règles comparables, sauf cependant la quinte et la quarte, les notes composant la quarte paraissant dépourvues du caractère "de parenté" propre aux notes composant la quinte et surtout l'octave.
v) remarque sur l'importance de la note de basse.
Nous avons constaté fréquemment que la note de basse d'un accord jouait un rôle particulier, c'est là une règle à peu près constante de l'Harmonie, et on la retrouve en bien des domaines que nous n'avons eu que le temps de survoler.
d) Classement par "Agrément".
On remarque que les deux classifications "inductives" et "déductives" se ramènent l'une à l'autre.
Il semble que l'on puisse proposer un classement "par agrément" possédant une solide réalité objective.
Voici cette classification, réalisée par ordre d'"agrément" croissant :
1°. Seconde mineure septième majeure
2°. Seconde majeure septième mineure
3°. Quarte
4°. Quinte
5°. Tierces, sixtes, quinte diminuée
6°. Octave.
Avant d'en terminer, rappelons le caractère ambigu de la quinte.
3°. CONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE. (page 13)
Nous sommes parvenus à une classification objective par agrément, réservant une place légèrement à part à la quinte et, dans une certaine mesure, à la quarte.
Quand nous aurons établi notre modèle, nous reviendrons sur d'autres conséquences de ce classement qui éclaire d'une lumière singulière bien des chapitres de la théorie de l'harmonie, notamment le classement des accords de septième, ainsi que la position exceptionnelle des accords de neuvième mineure sans fondamentale.
Nous remarquons cependant que le classement par "simplicité du rapport des fréquences" ne rend compte, ni de ce classement par agrément, ni surtout du phénomène de renversement qui, pourtant, domine toute l'harmonie.
C'est donc dans une autre direction qu'il convient de pousser les recherches : c'est ce que nous allons faire maintenant.
III. CONSTRUCTION D'UN MODELE D'ANALYSEUR DE SONS.
1°. INTRODUCTION.
Nous allons construire un modèle d'analyseur de sons, et nous montrerons que ce modèle obéit aux mêmes lois que celles formulées par la théorie musicale.
Dans un premier stade, nous doterons notre modèle de règles de fonctionnement inspirées de la théorie du corps sonore ainsi que de la loi de Fechner sur le rapport entre la sensation et l'excitation. Ce modèle, que nous appellerons "Modèle Réduit" nous permettra de retrouver certaines lois de l'Harmonie.
Dans un deuxième temps, nous doterons notre modèle d'autres caractéristiques. Ce "Modèle Complet" sera alors capable de retrouver la quasi intégralité des lois de l'Harmonie.
Note : les pages 14 à 24 du texte de Jean-Paul Schützenberger sont consacrées à la description mathématique du "Modèle Réduit" et du "Modèle Complet". Elles comportent de nombreuses formules et des caractères spéciaux, c'est pourquoi le document d'origine est joint. Le texte reprend en bas de la page 24.
C. Effet d'accord global roduit quand deux sons musicaux frappent le Modèle Complet.
a) Analyse de l'effet d'accord produit par deux sons en rapport d'octave.
Nous avons vu que, avec les hypothèses faites, on peut rencontrer quatre niveaux d'excitation différents : 1, 0,2, 0,04, 0,008. Nous admettrons que, entre des détecteurs excités à des niveaux différents, la différence de niveau est trop importante pour produire un effet d'accord notable.
Nous nous bornerons donc à comparer les détecteurs excités au même niveau. Nous trouverons ainsi :
i) Deux détecteurs à niveau 1, en rapport d'octave : ordre 1.
ii) Trois détecteurs à niveau 0,2, formant deux à trois couples, tous en rapport d'octave : ordre 1
iii) Quatre détecteurs à niveau 0,04, soit en rapport d'octave, pour deux des couples : ordre 1, soit en rapport de neuvième majeure ou de dix-septième pour les quatre autres : ordre 6
iv) Deux détecteurs à niveau 0,008, en rapport de seconde : ordre 6
b) Analyse de l'effet d'accord produit par deux sons en rapport de quinte. (page 25)
Nous trouverons de même :
i) Deux détecteurs à niveau E(1+0,008), en rapport de quinte : ordre 12
ii) Quatre détecteurs à niveaux 0,2 ou E(0,2+0,04), que nous considérerons comme formant des couples équivalents. Les six couples correspondant forment deux fois un seizième : ordre 1, et quatre fois des quintes ou douzièmes : ordre 12.
iii) Deux détecteurs à niveau 0,04, à la dix-huitième majeure, ordre 4
iv) Deux détecteurs à niveau 0,08, à la dix-huitième majeure, également d'ordre 4.
c) Analyse de l'effet d'accord produit par deux sons en rapport de quarte.
Nous trouverons :
i) Deux détecteurs à niveau 1, en rapport de quarte : ordre 12
ii) Quatre détecteurs à niveau 0,2 ou E(0,2+0,008), que nous considérerons comme formant des couples équivalents. Les six couples correspondant forment deux fois un seizième : ordre 1, trois fois une quarte ou une onzième : ordre 12, une fois une douzième : ordre 12.
iii) Trois détecteurs à niveau 0,04, formant un couple à la seconde majeure : ordre 6, un couple à la quinte : ordre 12, un couple à la quarte : ordre 12.
iv) Deux couples à niveau 0,08, en rapport de sixte majeure : ordre 4.
d) Analyse de l'effet d'accord produit par deux sons en rapport de tierce majeure.
Nous trouverons :
i) Deux détecteurs à niveau 1, en rapport de tierce majeure : ordre 3.
ii) Quatre détecteurs à niveau 0,2. Les six couples correspondant forment deux fois une octave : ordre 1, trois fois une tierce majeure, ordre 2, une fois une sixte mineure : ordre 3.
iii) Quatre détecteurs à niveau 0,04. Les six couples correspondant forment une fois une quarte augmentée : ordre 2, deux fois une tierce majeure : ordre 3, deux fois une seconde majeure : ordre 6 ; une fois une septième mineure : ordre 6.
e) Analyse de l'effet d'accord produit par deux sons en rapport de tierce mineure.
Nous trouverons :
i) Deux détecteurs à niveau 1, en rapport de tierce mineure : ordre 4.
ii) Quatre détecteurs à niveau 0,2. Les six couples correspondant forment deux fois une octave : ordre 1, trois tierces mineures et une sixte majeure : ordre 4
iii) Quatre détecteurs à niveau 0,04. Les six couples correspondant forment deux tierces mineures : ordre 4, deux secondes majeures : ordre 6, une quarte et une septième majeure : ordre 12.
iv) Quatre détecteurs à niveau 0,008. Les six couples correspondant forment deux tierces mineures : ordre 4, deux secondes majeures : ordre 6, une quarte et une septième majeure : ordre 12.
f) Analyse de l'effet d'accord produit par deux sons en rapport de sixte majeure.
On voit aussitôt que l'on retrouve les mêmes résultats que pour la tierce mineure, en remplaçant les tierces mineures par les sixtes majeures et réciproquement.
g) Analyse de l'effet d'accord produit par deux sons en rapport de seconde majeure.
Nous trouverons :
i) Deux détecteurs à niveau 1, en rapport de seconde majeure : ordre 6
ii) Quatre détecteurs à niveau 0,2. Les six couples correspondant forment deux fois une octave : ordre 1, trois secondes majeures et une septième mineure : ordre 6
iii) Quatre détecteurs à niveau 0,04. Les six couples correspondant forment une octave : ordre 1, quarte secondes majeures : ordre 6, une tierce majeure : ordre 3.
iv) Quatre détecteurs à niveau 0,008. Les six couples correspondant forment une octave : ordre 1, quatre secondes majeures : ordre 6.
h) Analyse de l'effet d'accord produit par deux sons en rapport de septième mineure. (page 27)
On voit aussitôt que l'on retrouve les mêmes résultats que pour la seconde majeure, en remplaçant les secondes majeures par les septièmes mineures.
i) Analyse de l'effet d'accord produit par deux sons en rapport de seconde mineure.
Nous trouverons :
i) Deux détecteurs à niveau 1, en rapport de seconde mineure : ordre 12
ii) Quatre détecteurs à niveau 0,2. Les six couples correspondant forment deux fois une octave : ordre 1, trois secondes mineures et une septième majeure : ordre 12
iii) Quatre détecteurs à niveau 0,04. Les six couples correspondant forment une tierce mineure : ordre 4, deux secondes majeures : ordre 6, trois secondes mineures : ordre 12.
iv) Quatre détecteurs à niveau 0,008. Les six couples correspondant forment une tierce mineure : ordre 4, deux secondes majeures : ordre 6, trois secondes mineures : ordre 12.
j) Analyse de l'effet d'accord produit par deux sons en rapport de septième majeure.
On voit aussitôt que l'on retrouve les mêmes résultats que pour la seconde mineure, en remplaçant les secondes mineures par les septièmes majeures.
k) Analyse de l'effet d'accord produit par deux sons en rapport de quarte augmentée.
Nous trouverons :
i) Deux détecteurs à niveau 1, en rapport de quarte augmentée : ordre 2.
ii) Quatre détecteurs à niveau 0,2. Les six couples correspondant forment deux octaves : ordre 1, quatre quartes augmentées : ordre 2.
iii) Quatre détecteurs à niveau 0,04. Les six couples correspondant forment trois quartes augmentées : ordre 2, une sixte mineure : ordre 3, deux secondes majeures : ordre 6.
iv) Quatre détecteurs à niveau 0,008. Les six couples correspondant forment trois quartes augmentées : ordre 2, une sixte mineure : ordre 3, deux secondes majeures : ordre 6.
E. Lois établies par le Modèle Complet.
Comme pour le Modèle Réduit, nous allons maintenant traduire ces résultats formels en language harmonique. Pour cela, nous commencerons par réaliser un classement des différents intervalles de deux notes.
a) Méthode de classement.
Nous classerons les intervalles par l'ordre des détecteurs de niveau 1. Nous corrigerons éventuellement ce classement par l'examen des détecteurs suivants. Remarquons que, sauf pour l'octave et la quinte, l'examen des détecteurs de niveau 0,008 est inutile : il est le même que pour les détecteurs de niveau 0,04.
b) Classement des intervalles.
Le classement par ordre décroissant d'"effet d'accord" aboutit au classement suivant, si on tient compte uniquement des premières détecteurs :
1°. Octave, ordre 1
2°. Quarte augmentée, ordre 2
3°. Tierce majeure et sixte mineure, ordre 3
4°. Tierce mineure et sixte majeure, ordre 4
5°. Seconde majeure et sixte mineure, ordre 6
6°. Quarte, quinte, seconde mineure et septième majeure, ordre 12.
L'examen des détecteurs de niveau 0,2 aboutit exactement au même résultat.
L'examen des détecteurs de niveau 0,04 aboutit au même résultat, sauf pour la quinte qui se trouverait alors avoir un classement comparable à celui des tierces.
On voit que la position de la quinte est ambiguë : effet d'accord fortement négatif pour les premiers détecteurs, et nettement positif pour les autres. IL va de soi que le premier l'emporte largement. On peut admettre que la quinte se trouve placée au voisinage de la seconde majeure.
c) Effet de renversement. (page 29)
Il résulte immédiatement de l'examen du tableau précédent les conséquences suivantes :
i) La quinte ne possède pas des propriétés identiques à celles de la quarte.
ii) Pour tous les autres intervalles, deux intervalles ont identiquement les mêmes propriétés si leur somme égale l'octave.
d) Intervalles justes.
Si l'on augmente ou si l'on diminue d'un demi-ton l'octave, la quinte et la quarte, on change complètement l'ordre de l'effet d'accord. Ce phénomène n'existe pas pour les tierces et les sixtes que l'on peut, suivant le cas, augmenter ou diminuer d'un demi-ton sans changer beaucoup leur effet d'accord, et, en tout cas, sans en changer le signe. De même on peut augmenter ou diminuer, selon le cas une seconde ou une septième sans changer le signe de l'effet d'accord produit.
e) Accords de trois notes.
i) Méthode de classement
Nous classerons ces accords en ajoutant peu à peu des intervalles d'ordre élevé. Nous les classerons ainsi par ordre d'effet global décroissant.
ii) Accords sans intervalles d'ordre supérieur à 4.
Ce sont :
do mi bémol sol bémol - do mi bémol la - do mi la bémol - do fa la
Les deux premies et le quatrième sont identiques : il s'agit de l'accord de septième de dominante sans fondamentale, ou accord de quinte diminuée. Le troisième est l'accord parfait altéré.
iii) Accords sans quarte, seconde ni septième.
Ce sont :
do mi sol - do mi bémol sol : ce sont les deux accords parfaits majeurs et mineurs.
iv) Accords sans quinte, seconde ni septième.
Ce sont :
do mi la - do mi bémol la bémol - do fa la - do fa la bémol
Ce sont les accords de sixte et les accords de quarte et sixte, majeurs et mineurs.
v) Accords sans seconde mineure, sans septième majeure, sans quarte ni quinte : ordre inférieur ou égal à 6
do mi si bémol - do sol bémol si bémol
vi) Conclusion
On voit aussitôt que ce classement recoupe parfaitement le classement intuitif.
Il existe un exemple encore plus caractéristique : la comparaison des accords de neuvième : do, sol, ré et do, fa dièse, ré. Le second est beaucoup plus agréable que le premier. Le premier contient en effet un intervalle d'ordre 6 : la neuvième, et deux intervalles d'ordre 12, les deux quintes. Le second, au contraire, comporte un intervalle d'ordre 6 : la neuvième, un intervalle d'ordre 2, la quarte augmentée, et un intervalle d'ordre 3, la sixte mineure. Un tel résultat apparait comme incompréhensible si l'on n'admet pas que la quarte augmentée est beaucoup plus agréable que la quinte, ce qui est la conséquence logique de notre classement, mais absolument contraire à la théorie classique de l'Harmonie. Le même phénomène se produit aussi avec l'accord de neuvième do, sol dièse, ré et il trouve la même explication.
f) Accord de quatre notes.
Nous nous bornerons à comparer les accords de septième entre eux.
L'accord d'ordre global le plus bas est manifestement l'accord de septième diminuée qui, en dehors de la septième diminuée et des trois tierces mineures qui le composent, tous intervalles d'ordre 4, ne comporte que des quintes diminuées, intervalles d'ordre 2.
On trouve ensuite l'accord de septième de dominante qui, outre la septième mineure, ordre 6, comporte une tierce majeure, ordre 3, deux tierces mineures, ordre 4, et seulement une quinte juste, ordre 12, l'autre quinte étant diminuée, ordre 2.
L'accord de septième de seconde espèce est d'un ordre plus élevé. En effet, il comporte les mêmes intervalles d'ordre 3 et 4, mais la quinte diminuée, d'ordre 2, est devenue une quinte juste, d'ordre 12.
L'accord de septième de troisième espèce est d'un ordre plus bas, et égal à l'accord de septième de dominante.
L'accord de septième de quatrième espèce est celui qui présente l'ordre e plus élevé. Il comporte en effet deux quintes justes et une septième majeure, d'ordre 12, et des tierces d'ordre 3 et 4.
g) Conclusion.
On peut ainsi réaliser une classification compl!te de tous les accords. Cependant, dans certains cas, il faut tenir compte, mais toujours alors dans une très faible mesure, de deux phénomènes secondaires :
- le phénomène d'accoutumance
- la prédominance de la note de basse.
Le classement des accords de neuvième, en particulier, peut être conduit comme il a été fait à propos des accords de quatre sons.
IV. COMPARAISON DES CLASSIFICATIONS EXPERIMENTALES ET DE LA CLASSIFICATION ETABLIE PAR LE MODELE COMPLET. (page 31)
1°. CLASSEMENT DES INTERVALLES HARMONIQUES
On constate immédiatement que le classement des intervalles établi par le modèle par "effet d'accord" décroissant rejoint exactement le classement empirique établi par agrément décroissant.
2°. PHENOMENE DE RENVERSEMENT
Mis à part la quinte et la quarte entre lesquelles il établit une différence très sensible, le modèle attribue le même "effet d'accord" à deux intervalles dont la somme et égale à l'octave.
Il retrouve donc exactement les lois établies ci-dessus.
3°. CLASSEMENT DES ACCORDS DE TROIS SONS
Le modèle retrouve les lois expérimentales établies plus haut.
4°. CLASSEMENT DES ACCORDS DE QUATRE SONS
Le modèle explique la position privilégiée de l'accord de septième diminuée.
Le modèle fait également une place à part à l'accord de septième de dominante. Il retrouve également la place de l'accord de deuxième et de quatrième espèce. Il place sur un pied d'égalité l'accord de septième de première et de troisième espèce. L'oreille retrouve cette analogie.
5°. PHENOMENE DE JUSTESSE. CARACTERE AMBIGU DE LA QUINTE
Le modèle donne des intervalles justes une définition qui rejoint et explique celle donnée par la théorie classique.
Il justifie entièrement du caractère ambigu de la quinte.
6°. VERIFICATION EXPERIMENTALE COMPLEMENTAIRE
Les intervalles d'ordre 5 n'existent pas dans la gamme tempérée dodécaphonique.
Il nous est apparu intéressant de faire jouer ces intervalles par des instruments à cordes, en déterminant par le calcul la longueur de corde nécessaire. Nous avons pu aussitôt vérifier que cet accord "inouï" au sens propre du mot produisait un effet intermédiaire entre une tierce mineure et une seconde majeure. Un tel agrégat aurait dû, si notre théorie était fausse, produire un effet épouvantable.
Il s'agit donc là d'une vérification particulièrement intéressante de nos vues.
7°. CONCLUSION
Il semble bien que le modèle complet rende compte de la totalité des phénomènes observés, à l'exception cependant du rôle particulier joué par les parties extrêmes de tout agrégat sonore.
V. CONCLUSION.
La structure de notre modèle : ensemble continu de détecteurs est probablement comparable à la structure de l'appareil auditif.
Le mode de résonance des détecteurs est comparable à la résonance des cordes sonores, par exemple. On peut penser que les détecteurs de l'oreille obéissent eux aussi à des lois comparables. Il va de soi que la valeur relative des coefficients Mui n'a que peu d'influence sur les résultats.
La loi de non additivité des intensités est comparable à la loi de Fechner dont elle n'est en fait qu'une généralisation.
I lest remarquable de constater que, de même qu'il intervient dans la transmission des intensités, le processus logarithmique intervient dans la transmission des fréquences. Il est peut être permis d'en déduire qu'il se produit au sein de l'oreille interne un codage des intensités et des fréquences fonctionnant selon des mécanismes analogues.
Sur le plan musical, il apparaît que cette nouvelle classification apport une unité manifeste à l'ensemble des lois de l'harmonie.
Ce faisant, elle nous renforce dans le sentiment que ces lois, bien loin de constituer un ensemble arbitraire, se sont, au contraire, efforcés de codifier, tant bien que mal, les résultats expérimentaux obtenus depuis l'origine de la musique.
S'il en est bien ainsi, les perspectives de la musique s'éclairent d'un jour nouveau, et l'on mesure mieux la vanité des efforts de ceux qui tentent de reconstruire de toutes pièces un monde sonore abstraitement "original".
Les soubresauts actuels d'un art musical volontairement rebutant apparaissent alors, non pas comme un tournant décisif, mais bien plutôt comme le produit d'une mode passagère, comme il a déjà dû s'en produire périodiquement dans l'histoire.
Il suffit pour s'en rendre compte de lire les lignes suivantes, écrites il y a plus d'un siècle par un homme qui n'a jamais passé pour un esprit conservateur non plus que rétrograde : Berlioz, qui écrivit en préface de son traité d'orchestration
: "... on en vint parmi ceux qui s'appelaient savants à mépriser toute composition dont l'harmonie eut été simple, douce, claire, sonore, naturelle ; il fallait absolument, pour plaire à ceux-là, qu'elle fut criblée d'accords de seconde mineure ou majeure, de septièmes, de neuvièmes, de quinte et quarte, employés sans raison ni intention quelconques, à moins qu'on ne suppose à ce style harmonique celles d'être aussi souvent que possible désagréables à l'oreille. Ces musiciens avaient pris du goût pour les accords dissonants, comme certains animaux en ont pour le sel, pour les plantes piquantes, les arbustes épineux..."
et qui conclut avec un optimisme, hélas, exagéré :
"... on est assez généralement disposé à accorder aujourd'hui... que ce qui produit un bon effet est bon, que ce qui en produit un mauvais est mauvais, et que l'autorité de cent vieillards, eussent-ils cent vingts ans chacuns, ne nous ferait pas trouver laid ce qui est beau, ni beau ce qui est laid..."
Jean-Paul Schützenberger